« Pour capitaliser sur une notoriété qu’il devait jusqu’ici à ses seuls talents d’ingénieur du son, Alan Parsons a décidé d’utiliser son propre nom. Dans l’ombre de George Martin aux côtés des Beatles lors des enregistrements d’Abbey Road et de Let It Be, il est sorti de l’anonymat en jouant un rôle majeur dans la maturation du son de The Dark Side Of The Moon. Mais plutôt que de continuer à travailler pour Pink Floyd, ce surdoué préfère monter son propre projet. Il trouve son alter-ego en Eric Woolfson, parolier et claviériste écossais, seul autre membre officiel et permanent. » (1)
Je crois que je n’ai jamais parlé ici de mon engouement pour un groupe comme The Alan Parsons Project que pourtant j’adore, du moins une bonne partie de sa discographie que je considère comme vraiment ionnante et qualitativement super mélodique aux ¾. Allons y franco, les 5,6 premiers disques vont du très bon au bon avec parfois du moyen (« EVE », le 4e disque, concept-album sur les rapports entre hommes et femmes qui s’avère un peu timoré et mou venant de nos deux compères) sans que cela n’entache en rien leur musique pour peu que vous aimiez un peu tous les styles.
Car le Project va régulièrement naviguer entre plusieurs genres du rock et de la pop du XXe siècle avec une facilité aussi déconcertante qu’une production sonore souvent au top (Parsons est loin d’être un manchot). Si le tout est à ranger dans l’étiquette bien pratique et un peu généraliste du rock progressif (2) et je vais y revenir après, on hésite pas à alterner sur un même album à un rock heavy puis un morceau pop, puis un titre qui s’inspire du disco quand ce n’est pas les prémisses de la musique électronique voire l’expérimental ou la musique classique contemporaine (certaines sonorités sur le second album, « I robot » qu’on ne reverra plus du tout par la suite).
Mais rock prog quand même et de qualité tant dans ses choix thématiques que musicaux. Déjà chaque album est centré autour d’une idée conceptuelle qui va orienter les textes aussi bien que la musique (quitte à utiliser des sonorités qui font typiquement penser à tel ou tel pays – la guitare flamenco sur « Gaudi » en 1987 vu qu’on est en Espagne par exemple). Et les concepts de s’inspirer aussi bien de la littérature que des mythes ou d’un aspect social, du conte ou d’une personnalité… Le premier disque en 1976 tourne autour d’Edgar Allan Poe et ses écrits (3). Le second l’année d’après sur « les robots » d’Isaac Asimov. Les jeux de cartes et plus globalement de hasard et l’addiction qui y est liée sur « The turn of a friendly card » en 1980…
Ensuite Prog dans le sens où chaque titre (notamment les instrumentaux, souvent grandioses et magiques) va bien sûr varier les tempos (mais d’une manière probablement plus mélodique et habile que beaucoup d’autres). Et puis il y a la patte du Project avec ce style si reconnaissable avec des compositions qui se suivent directement comme des mini-suites, ces albums qui commencent toujours avec une ouverture instrumentale et des thèmes en quelques notes qui vont parcourir l’album sur plusieurs compositions et revenir donc directement ou indirectement afin de faire une sorte de lien qui va solidifier durablement l’œuvre de bout en bout et lui donner sa véritable patte.
Ici donc avec probablement l’un de mes préférés du APP, « Pyramid » en 1978, on va bien sûr parler pyramides mais pas que. La mythologie, le mythique, le souffle épique prennent aussi tout leur sens ici. La couverture du vinyle ou du disque compact signée par le génial studio de design Hipgnosis est d’emblée traversée par une magie inquiétante : recto, l’un des deux auteurs du groupe traversé de faisceaux comme s’il se dédoublait, verso, une pyramide à la fenêtre au soleil couchant à peine éclairée par le soleil et qui en contrejour, semble projeter sur nous son ombre menaçante et inquiétante comme un géant insaisissable. On réalise qu’on est dans une chambre d’hôtel au Caire probablement mais tout semble comme décalé comme si on assistait à un phénomène inexplicable : Alan a-t-il la migraine ? Est-ce que son âme n’est-elle pas en train d’être aspirée ? La télé de la chambre n’émet que des grésillements et cette pyramide derrière est bien trop proche de nous, presque vivante.
On se prend le paranormal en pleine tronche et en même temps il y a bien sûr caché dans tout ce symbolisme un peu d’humour british, d’auto-dérision. C’est le roman de gare sur la table dont on aperçoit à peine le titre (« Pyramid power », la grande marotte rigolote des 70’s !), c’est une lampe elle-même en pyramide près du lit… C’est une mise en scène bien sûr. Et les deux du Project de nous dire en cachette qu’ils vont nous raconter une belle histoire en fin de compte si l’on sait écouter et apprécier (4).
La première face commence par une suite en plusieurs compositions. S’enchaînent donc la classique ouverture instrumentale typique du APP avec la fascinante « Voyager » débouchant sur le rock mid-tempo de « What Goes up… » (qui reprend adroitement les notes du thème musical de Voyager et fut l’un des singles de l’album à l’époque, curieux choix) avant de se finir sur la belle balade « The eagle will rise again » (Colin Blunstone des Zombies y pose sa belle voix d’or). On finit la face A avec le rock de « One more river » et une petite pique à la New Wave alors naissante sur « Can’t take it with you » (là aussi le duo fait montre d’une belle aisance en intégrant des ages qui sont des variations du thème principal).
La seconde face, elle, s’ouvre sur un instrumental épique (sans doute LE meilleur titre du disque comme tout le monde s’accorde à le dire), « In the laps of the Gods », qui démontre là toute les potentialités du Project. Reprenant le thème principal de l’album aperçu déjà sur « Voyager » en le travaillant en profondeur (c’est maintenant une flûte qui ouvre le titre) avec l’apport d’un orchestre symphonique et de chœurs mené de main de maître par Andrew Powell, la composition bascule au milieu dans une course effrénée où la musique classique et le rock courent côté à côté sans que cela ne paraisse jamais pompier, juste lyrique. Après tout ce sérieux, « Pyramania » est un titre pop sautillant conçu comme une petite blague parodiant à nouveau la new-wave (5). Encore un instrumental avec « Hyper Gamma Space » qui préfigure presque le mariage du rock avec la musique électronique, l’apport des volutes du VCS3 préalablement employé par Pink Floyd ou les Who avec Who’s Next, s’en ressent agréablement. Une dernière balade clôt le voyage avec « Shadow of a lonely man » mais cette dernière, rehaussée des cordes de Powell prend un tournant cinématographique qui conclut d’une belle manière fragile et pourtant apaisée le trip pyramidal.
Au final, un bel album, prenant, fascinant, planant, un album du Alan Parsons Project et sa patte reconnaissable entre mille surtout. Le meilleur album du project ? C’est bien sûr subjectif tant le duo et tous leurs musiciens ont souvent démontré une bonne partie de leur savoir-faire indéniable. Mon préféré probablement plus je dirais.
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(1) Extrait de « PROG 100 » de Frédéric Delâge chez Le mot et le reste, p.142.
(2) Aymeric Leroy dans son ouvrage « Rock Progressif » chez Le Mot et le reste évoque même page 260 et 268 un « Rock progressif light » où justement ranger APP ! Même si je comprends sa démarche, j’avoue grincer un peu des dents face à l'excellente qualité des albums.
(3) Orson Wells est même invité dans la nouvelle édition de l’album fin des années 80 pour y faire le narrateur sur quelques pistes !
(4) Absent malheureusement de mon édition CD, le fascicule qui contient le vinyle a lui aussi plein d’illustrations qui mènent tout autant au supernaturel qu’à la paranoïa, à la bonne blague qu’à la prise très au sérieux de ces monuments historiques : On y voit aussi bien des corps qui flottent près des pyramides qu’un ovni qui les survole sans oublier des plans du tombeau ou une suite d’années énumérées qui font probablement sens d’un mystère à la Stargate.
(5) J’y vois aussi quelque part une manière de se moquer gentiment de toute l’Egyptomanie folle qui avait pris d’assaut l’Europe du XIXe au XXe siècle, la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922 ayant ravivé une certaine magie mêlée de crainte (la fameuse malédiction).