Kengo Hanazawa, auteur de pourceau assumé, tous les chemins menant à Kengo Hanazawa ne vous y conduisent pas par hasard. Parce qu’il a des choses à dire – même de très bêtes – et qu’il les expose divinement ; on l’écoute d’où qu’on vienne, interpelé par un quelque chose d'original dans sa démarche.
Ses personnages, crédibles car étant à la fois vils et beau, nous séduisent par leur bassesse et leur sincérité. Je ne saurais dire s’ils sont réalistes pour autant. Peut-être sont-ils surréels dans ce qui tient à leur caractère, tout en restant cependant nuancés et sans jamais trop forcer l’excentricité d’une personnalité très approfondie. Là encore, son écriture trahit son style ; et elle trahit à dessein afin de mieux nous ravir.
À n’en point douter, Hanazawa est un maître du grotesque, en tout cas d’une forme de bouffonnerie qui se narrerait avec pour agrément une forme de sérieux assez déroutant. La thématique des ninjas impliqués dans le monde réel, eux aussi corrompus par le monde moderne, sans pour autant virer dans le burlesque idiot, est une trame que cent, sinon mille auteurs auraient salopé avant même de seulement l’esquisser. Seinen ou non, ils en auraient fait un gag-manga qui, après quelques dizaines de chapitres de mise en jambe, se serait complu dans les bastons incessantes et stériles. L’auteur, lui, préfère dresser son postulat, le crédibiliser intelligemment en nous en présentant diverses facettes, puis échafauder une histoire qui se conte lentement, un chapitre après l’autre, brique par brique, jusqu’à ce qu’on ait finalement une vision d’ensemble assez gironde de ce qu’il nous construit alors.
Under Ninja, comme pour I am a Hero, rend l’improbable possible et même, incontestable à force qu’on s’y éprouve. Aussi ridicule soit cette histoire de ninjas, on en rit d’abord, on se satisfait ensuite et pire encore : on y croit. La narration, habile, sait nous convaincre de ce qu’elle nous raconte, aussi invraisemblable s’avère ce qu’on observe.
Les dessins de l’auteur, dont je n’avais pas suffisamment rapporté dans ma critique de I Am a Hero à quel point ils détaillaient les actions brutales et fugaces pour s’attarder sur elles, fait ici un bel ouvrage à chaque cabriole qui vient. On les trouve pléthoriques en ces pages – ninja oblige – et très bien documentées dans ce qui tient à leurs chorégraphies hachées minutieusement, puis présentées au travers de plans fixes où l’anatomie des personnages en jeu y est scrupuleusement observée.
La relation de Kumogakure avec ses voisins, si la comparaison m’est permise – et je m ‘arroge ce droit – a des airs de Maison Ikkoku qu’on aurait imprégné d’un réalisme diffus. Tous ceux qu’on y trouvent s’avèrent ubuesques à leur manière, tout en trouvant un moyen assez curieux de paraître crédibles à nos yeux.
Le sweat de Kurou et ses spécificités, ainsi que son « arsenal » futur – notamment Teo – constituent en soi des gadgets versatiles, plutôt intéressants, sans jamais être trop efficaces afin que le sentiment de danger ne soit jamais trop diffus. Gâtés que nous sommes, il y aura même un examen de lycée qui, pour faire écho à l’examen Chuunin de Naruto, se résoudra grâce à une triche très astucieuse, à base de grains de riz et de… suiton. C’est en tout cas une singulière et savoureuse réécriture du genre, avec en plus un cadre académique dès lors où les Genins sont infiltrés au lycée, avec le lot de situations incongrues que cela préfigure.
La structure et l’univers se construisent sur un biotope cohérent. L’existence du N.I.N et du U.N s’envisagent comme des volets politiques assez intéressants et bien exploités, plutôt fondés malgré le caractère fantasque de ce que recouvrent ces institutions. L’auteur aurait gagné à nettement revoir à la baisse le nombre de ninjas infiltrés. er de deux-cent mille agents à dix-mille aurait, je crois, été plus raisonnable si on tient compte de leurs prouesses.
Comment, en outre, qualifier les dialogues dont nous nous trouvons les témoins ravis ? Authentique ne serait pas le mot juste, car ceux-là ont un quelque chose de franchement décalé, tout en s’inscrivant divinement dans la banalité. Il y a quelque chose de touchant et de sincère quoi qu’improbable de ce qu’il se dit. Le moindre pan de discussion est sublimé par la narration ; les échanges qui se succèdent étant alors à même de garnir et assaisonner la moindre platitude d’une dose d’humour larvé comme seul Kengo Hanazawa sait en concocter. Cet homme-là, assurément, a un style aussi probant dans ce qu’expose le dessin que l’écriture.
Les dessins, j’y reviens pour mieux insister, sont vraiment très travaillés, tout en dégageant un aspect épuré qui, le plus généralement, incombe à des traits simples et peu détaillés. Du moins pour les visages des personnages, pourtant très complets et expressifs, à la manière d’un Hiroya Oku. Il suffit cependant de voir l’auteur dessiner un bête chat pour comprendre tout le talent retenu dans le crayonné.
Il y a, dans Under Ninja, tous les fantasmes condensés qu’un homme qui n’a que trop aimé les bons Shônens. Outre les Shinobis, nous aurons même droit à une parenthèse Bôsôzôku fourrée au milieu de l’intrigue et dont le trame s’efforcera de tirer le meilleur parti. Under Ninja est une synthèse de ce qu’ont pu faire émerger les auteurs de Shônen des années 1980 et 1990, afin d’en remodeler la substance et la repeindre en un Seinen contemporain et intelligemment bien amené en dépit de ce que l’œuvre peut avoir de fantasque.
La gestion du volet dramatique de l’œuvre est démentiel. Là où d’autres – tant d’autres – placeraient une emphase démesurée sur le tragique d’un instant, la trame présente le tout avec un regard presque amusé en dépit de la gravité. La mort de personnages importants, au moment de la célébration de leur trépas, donne lieu à une forme de morne je-m’en-foutisme teinté d’un humour apathique calculé pour prendre le lecteur à rebours de ce qu’il attend.
La mort de Kuro, en plus de constituer une excellente amorce pour la deuxième partie de l’histoire, est franchement inattendue alors qu’on le croit – et même qu’on l’espère – victorieux sans avoir à souffrir de contestation. Ils sont rares les auteurs à accepter de tuer leur personnage principal pour lui trouver un remplaçant immédiat dans sa famille. J’espère simplement qu’ils n’utiliseront pas le volet technologique permettant de transférer sa cervelle dans un nouveau corps.
Le court arc « Ensemble avec les personnes âgées » m’aura, plus encore que le dessin, rappelé les grandes heures de Gantz. Nul doute que l’auteur a été inspiré par Oku autant sur le plan graphique que scénographique. De lui, Hanazawa n’en a heureusement retiré que le meilleur. Y compris le salace dont il a su faire le plus opportun des usages le temps d’un combat improbable et remarquablement bien tourné.
Une histoire prenante qui, sans s’embarrasser d’un scénario trop complexe, sait densifier ses enjeux et trouver un rôle à la multiplicité de ses protagonistes. On a du mal à croire au synopsis, mais celui-ci est finalement si bien orchestré à mesure qu’il se dévoile à nous qu’on ne trouve guère de matière à pinailler à chaque page qui vient.
L’élan ionnel se disperse à mesure que l’intrigue se poursuit à rythme soutenu. À la ion, tout naturellement, succède un amour tendre pour une œuvre qu'on ne peut qu'aimer du seul fait que nous le devons par l'emprise qu'elle a sur nous.