Très content d'avoir terminé la filmographie de Wong Kar-wai sur ce qui semble être son œuvre somme. Un gigantesque entrelacement de temporalités, qui reboucle magnifiquement les arcs de personnages des précédents films (tout particulièrement Days of Being Wild et In The Mood for Love).
L'idée de ce « 2046 », comme symbole universel regroupant toutes les névroses amoureuses, est une idée absolument brillante à mes yeux. 2046 est tout d'abord le numéro dela chambre d'hôtel dans lequel vit M. Chow, un éternel cœur brisé qui sort tout juste de sa grande désillusion amoureuse (dépeinte dans In The Mood for Love). Cette chambre devient ainsi la métaphore physique de sa solitude, un espace dans lequel défilent flirts et relations factices, l'enfermant plus que jamais dans une déréliction sentimentale glaciale.
Mais 2046 est également le nom d'un roman écrit par M. Chow. Un roman de science-fiction érotique, transmutant les événements vécus et fantasmés par l'écrivain. À la fois romanesque et autobiographique, cette œuvre lui permet d'enfin vivre ces occasions manquées si douloureuses, et donc guérir (artificiellement) de ses blessures émotionnelles profondes.
Enfin, 2046 est le nom d'un train imaginaire, ponctuant l'histoire d'un deuxième roman de l'écrivain, sobrement nommé... 2047. Un train dans lequel s'évade les esprits aliénés, tentant de retrouver leurs souvenirs perdus. En d'autres termes, un espace-temps unique, où tout est immuable, mais duquel personne ne revient.
Les séquences au sein de ce train sont ainsi d'une beauté folle, transposant les différents personnages du récit (issus d'amours impossibles) dans une réalité parallèle. Un univers de SF particulièrement kitsch, mais formidablement attachant et envoûtant. On sent clairement l'inspiration de Lynch derrière ce dispositif (les rideaux rouges partout), mais rarement un autre cinéaste aura aussi bien réussi à offrir ce sentiment d'hypnose et de dépaysement total.
J'adore par ailleurs la relecture permanente d'In The Mood for Love, avec la réutilisation incessante de symboles et gimmicks désormais cultes (plan à l'arrière du taxi, ruelle sous la pluie, voisinage d'hôtel, etc.). Une manière géniale de représenter ce paterne constant dans les échecs amoureux, à travers un cycle oscillant entre féérie et tragédie, et voué à se répéter éternellement.
Je vous épargne un énième paragraphe sur la réalisation du cinéaste, qui atteint un niveau de maîtrise proprement extraordinaire. La photo est splendide (comme toujours), avec cette fois-ci une couleur verte omniprésente qui teinte pratiquement chaque plan du film. Pareil pour le travail permanent du cadre, offrant un bonheur visuel de tous les instants.
Ainsi, 2046 est clairement l'œuvre la plus ambitieuse de WKW. Même si je dois ettre que cette générosité débordante altère quelque peu le film à certaines reprises. Le réalisateur chinois donne énormément, et peut-être un peu trop, avec notamment certaines scènes de baisers/coucheries qui m'ont paru un peu longuettes et forcées. De manière générale, le long-métrage s'étire trop (2h10), et aurait clairement gagné à se rapprocher des ~90 minutes habituelles chez le cinéaste.
En tout cas, très hâte de replonger encore et encore dans ces univers complexes, afin d'en déceler tous les secrets. Une filmographie unique, dépeignant avec brio les amours impossibles et le temps qui e, et ce, à travers des tableaux tous différents. Des œuvres aussi réconfortantes que déchirantes, toujours portées par une esthétique immense. À se demander si Wong Kar-wai n'est pas devenu mon cinéaste préféré...
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