Jambe poilue & gendre perdu

L'agent Secret est un pari de cinéma sacrément osé. Se déroulant au Brésil en 1977, le film va s'am pendant ses 90 premières minutes à perdre son spectateur, au sein d'un récit flou et lacunaire. Un immense puzzle s'offre à nous, mais impossible de lier les pièces qui le constituent...

Et voilà toute l'ambition de Kleber Mendonça Filho : toujours surprendre son spectateur, et l'emmener là où il ne s'y attend pas. Car même si l'on s'intéresse initialement à la vie de Marcelo, un homme vraisemblablement traqué par des tueurs à gages, on va également s'intéresser au visionnage des Dents de la Mer... ou encore, aborder le mystère de la jambe poilue. Et ce, jusqu'à une résolution de traque expédiée en 2 minutes chrono, d'une manière complètement impromptue.

Le cinéaste brésilien enchaîne alors les séquences, lançant pléthore de pistes narratives, et n'en résolvant qu'une poignée. En résulte une première moitié particulièrement drôle, absurde et divertissante, portée par une écriture très efficace. Un tempo comique bien aidé par une galerie de personnages atypiques, spontanés et franchement hilarants. Mention spéciale à cette Dona, qui fait mouche à chaque réplique.

Mais derrière ce grand tableau comique, clarifiant peu à peu ses zones de flou, réside finalement un propos politique assez à charge. Le long-métrage prend en effet le pouls d'un Brésil en proie à une dictature militaire, pourchassant brutalement les "partisans du communisme". Un pays pourri par la violence et la corruption, et présentant une fracture profonde en son sein, symbolisée par l'opposition nette entre Brésil du Nord et Brésil du Sud. De nombreux individus (comme Marcelo) y sont ainsi menacés de mort, se transformant progressivement en purs réfugiés. Plutôt marrant d'ailleurs de voir à quel point le film se rapproche des Aigles de la République, dans sa dénonciation d'un régime politique sous couvert de comédie.

Le tout sous fond de culture brésilienne, suggérée par une BO locale géniale, mais surtout, une direction artistique remarquable. La photo du long-métrage est extrêmement léchée, tout comme la mise en scène (récompensée au palmarès cannois), livrant quelques plans renversants. Le montage est chirurgical, et les interprétations sont globalement très solides, avec un Wagner Moura impeccable en tête de file (également récompensé au palmarès cannois... même si ça me paraît un chouïa exagéré à titre personnel).

Pour autant, malgré toutes ses grandes qualités, le film m'a semblé se prendre peu à peu les pieds dans son propre dispositif. Peut-être que l'œuvre se veut trop ambitieuse (ou peut-être qu'elle s'imagine bien plus maline que ce qu'elle n'est réellement), mais le fourre-tout inlassable d'idées et de fausses pistes pendant près de 3 heures a fini par quelque peu m'ennuyer. Certaines séquences s'étirent trop, et le long-métrage s'embourbe malheureusement dans une forme assez vaine, en plus d'un humour dépérit lentement.

Une vacuité assez bien représentée par le chapitrage de l'œuvre, complètement anecdotique et superficiel (comme ce chat à deux têtes d'ailleurs). Le film est très riche, très dense, mais ses allers-retours incessants finissent par créer un ventre mou, d'un ennui sacrément palpable. Jusqu'à un dernier tiers plutôt dynamique et plaisant, puis un épilogue... pas franchement inspiré non plus.

Une très jolie proposition, qui aurait malheureusement gagné à resserrer son dispositif et sa folie narrative.

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