L'Innocence
7.5
L'Innocence

Film de Hirokazu Kore-eda (2023)

L'ombre d'un doute...

Ça aurait pu être un très grand film.


L'idée d'une trame simple, déclinée en trois perspectives distinctes, était très belle sur le papier. Saori, mère tourmentée, s'oppose à M. Hori, professeur malchanceux et accusé à tort par Minato, garçon sensible qui peine à s'exprimer. À chaque regard, une vérité nouvelle se dessine, des zones d’ombre se dissipent ou s'épaississent...


...Mais surtout s'épaississent ! Au final, on ressort du cinéma plus désorienté qu'éclairé.


Alors on se remet en question. Peut-être est-ce nous, spectateurs, qui n’avons pas saisi toutes les subtilités de ce scénario, d'ailleurs récompensé à Cannes. Était-ce l’intention du film de nous perdre ? Faut-il le voir comme un Chinatown, où la vérité reste à jamais inaccessible, ou plutôt comme un Rashomon (parallèle souvent cité), où la relativité des points de vue empêche d’accéder à une vérité universelle ?


Pour être honnête, je ne sais pas. Le film est traversé par des influences japonaises et shinto autour de la réincarnation et de l’institution scolaire japonaise, que je connais mal. En même temps, il me semble que le film cherche clairement à créer de l'étrangeté et du suspens dans sa première partie pour nous dévoiler peu à peu chaque élément dans ses suivantes, plus "rationnalisantes".


Et c'est là que le bât blaisse, car certaines scènes livrent des explications assez difficiles à croire voire qui amènent de nombreuses interrogations. Par exemple, comment comprendre que le professeur soit accusé de fréquenter un bar à hôtesses alors que rien n'amène de tels soupçons ? De même, les accusations de violence portées contre lui par Minato, Yori et plusieurs camarades manquent cruellement d’explications. Sans parler des tentatives maladroites du corps enseignant pour protéger la réputation de l’établissement (sans doute une critique maladroite de l’institution) ni de la tonalité absurde (où les enseignants semblent tous body-snatchés) qui détonne totalement avec le reste du film. Sans parler de la séquence de la gomme ! Et pour couronner le tout, le troisième segment inverse carrément certaines séquences dans leur chronologie...


En somme, le film semble vouloir tout rationaliser, mais échoue en grande partie à le faire. Comme s'il essayait de se dépétrer d'un scénario trop complexe pour lui. Finalement, c’est la frustration qui domine, celle d’être é à côté de quelque chose. Le scénario, malgré ses éloges, n'a pas su guider avec parcimonie mon regard de spectateur lambda.


Et c'est vraiment dommage car de nombreuses fulgurances brillent à certains endroits du film.


Notre changement de point de vue sur le comportement étrange de Minato, successivement harcelé, harceleur avant d'être ni l'un ni l'autre est une prouesse de mise en scène !


C’est notamment dans son troisième segment que le cinéma kore-edien reprend toute sa force, avec la naissance d’une amitié ++ entre deux enfants magnifiquement interprétés. Tous les instants où ils se réfugient dans ce train abandonné, au cœur de la nature, fonctionnent particulièrement bien. On ressent pleinement ce jardin secret, ce refuge à l’abri des regards et du jugement du monde. Quelques éclats d’interprétation rappellent même la finesse des acteurs de Nobody Knows. La troisième partie, à elle seule, semble porter tout le film.


Néanmoins, je ne dirais pas qu’il aurait mieux valu ne garder que cette troisième partie. L’idée du scénariste Yuji Sakamoto de juxtaposer trois versions d’une même histoire illustrent de façon intéressante l’incommunicabilité entre les personnages, tous séparés par des écarts de génération ou des murs construits par la société japonaise. Le fameux plan de la vitre qui se couvre et se découvre de boue chaque fois que Saori et le professeur tentent de la nettoyer illustre avec originalité cette opacité.


De plus, on pourrait trouver quelque chose d’intéressant dans cette juxtaposition cyclique d’un même événement qui rappelle l’idée de renaissance et de réincarnation, traversant tout le film. Chaque segment commence par le même incendie et se termine par le même typhon. L’eau, l’air, le feu et la terre encadrent les limites du récit et l’intègrent dans un Tout spirituel en lien avec la nature.


Ainsi, peut être que tout cela n'est pas à prendre au pied de la lettre et que mon regard d'occidental m'empêche d'en saisir toutes les subtilités. La part métaphorique du film semble assez importante. Quoiqu'il en soit, une distance s'est créée entre moi et le film, ce qui ne m'a pas empêché d'être touché par certaines scènes, mais qui ne m'a pas permis d'en ressentir pleinement l'émotion, avec regret.

6
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le 22 mai 2025

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Antlast1

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