Gros sur la patate

Petit garçon mes parents avaient pour sale habitude le dimanche de m’emmener voir au cinéma des films curieux où tout le monde se mettait à danser et chanter sans raison, comme Tous en scène, Ma Soeur est du Tonnerre ou Pique-nique en Pyjama, mais heureusement, ils me laissaient également regarder ce que je voulais à la télé et c’est ainsi que j’ai pu me rassasier d’une publicité hallucinante qui ait alors, louant les mérites de la purée Mousline. 30 secondes de science fiction où une mère de famille, parfaite maîtresse de maison, sert à ses 5 enfants extatiques une pleine soupière de purée sans saveur et sans couleur. Ce moment de bonheur parfait, qui reprenait les mêmes codes que les comédies musicales dominicales, ne laissait pas de me fasciner. Comment comprendre la joie de ces bambins à l’idée de manger une nourriture aussi insipide ? Je me disais dans mon cerveau déjà bien atteint que la mère avait du verser de l’ecstasy dans les pommes de terre en flocons, et je rembobinais ma VHS de publicités compilées par mes soins, pour me resservir une louchée de cette scène aussi primesautière qu’inexplicable : https://frama.link/aTableLesEnfants


Oh qu’il n’y ait pas de malentendu, en fait je n’ai rien contre la purée Mousline. Je peux comprendre qu’harassé par une semaine de travail trop remplie, ou d’oisiveté exponentielle, on n’ait absolument pas envie d’aller faire la queue au marché pour acheter des pommes de terre, les éplucher, les cuire, les er au presse-purée avec du beurre demi-sel, et puis se taper la vaisselle avant que l’amidon ne durcisse impitoyablement. J’accepte même qu’on ait soudain envie, par facilité ou par plaisir coupable, d’ un mac Do, d’un pot entier d’Häagen Dasz, ou d’une cascade de knacki balls. Le seul souci commence lorsqu’on essaye de m’expliquer que c’est de la grande cuisine. La Mousline c'est pratique, mais ce n'est pas bon. Il faut savoir raison garder.


Il n’y a pas que la haute gastronomie dans la vie, on est d'accord. Et je pense d’ailleurs que personne n’aurait envie d’aller manger au Grand Véfour tous les soirs. Mais il serait absurde, et bientôt dangereux, de ne plus voir ce qui différencie un sachet de nourriture industrielle d'un bon petit plat maison, et à fortiori de confondre Maman Mousline avec Guy Martin. Un grand chef est comme un funambule sur un fil, à des centaines de mètres au dessus du sol. Son but n’est pas d’être efficace, mais de prendre des risques, quitte à s’écraser au sol. Pas de plaire à tout prix, et à toutes les papilles, mais d'étonner, de brutaliser, en tout cas de sortir des sentiers battus et rebattus. De tenter des expériences, de repousser les limites de son art, pas de reproduire de vieilles recettes éculées avec des produits un peu bas de gamme, camouflés derrière un emballage soigné et une jolie nappe, sous prétexte de faire plaisir à la famille réunie.


C’est comme dans tout : la faim ne justifie pas forcément les cuisiniers moyens.

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le 26 janv. 2017

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Chaiev

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