“You gotta convince me that you know what this is all about, that you aren't just fiddling around hoping it'll all... come out right in the end!”
En une phrase et avant un chapelet de répliques cinglantes du même acabit, Sam Spade impose sa patte. Avec lui, John Huston débute sa carrière et Humprey Bogart relance la sienne, pour une série de succès, principalement dans un genre alors émergent, le film noir.
À son employeuse femme forcément retorse et fatale, le privé annonce donc un dénouement qui ne laissera pas tout le monde indemne. La lucidité, le cynisme et la répartie obscurcissent ainsi une intrigue qui joue déjà des noirs et blancs très contrastés, dans une ambiance urbaine, nocturne et paranoïaque. Le Faucon Maltais est pourtant la 3ème adaptation du roman de Dashiell Hammett publié en 1930, mais c’est lui qui va rester dans les mémoires.
Spade, c’est l’aplomb : face aux manipulations retorses, aux multiples rebondissements et aux mastards toujours enclins à trouer son imperméable de légende, le personnage reste imible : c’est le vecteur d’une classe à l’américaine, mais aussi d’un certain sens de la comédie. Cynique, misogyne et délicieusement méchant, le privé est en mesure de résoudre des enquêtes parce qu’il connait les codes du monde dans lequel il fraye.
Dans une intrigue policière qui joue toujours des faux semblants, et où tout le monde e son temps à mentir, son sang-froid est une figure d’autorité, tout comme un bluff efficace qui donne le sentiment à ses interlocuteurs qu’il a toujours plusieurs coups d’avance, ce qui fera dire à l’un de ses ennemis :
“There's never any telling what you'll say or do next, except that it's bound to be something astonishing.”
Esthétiquement, John Huston fait ses armes, et le fait avec brio : contre-plongées, clair-obscur marqués violemment, zoom nerveux épousent les contours d’une intrigue qui joue de la brutalité et des mouvements retors.
Mais pour que la grandeur puisse réellement émerger, un sens des valeurs doit s’affirmer. C’est chose faite avec un dénouement qui dessine clairement les rôles : d’un côté, ceux qui convoitent, et se voient confrontés à leur vanité pour un objet rutilant mais illusoire, de l’autre, un homme qui sait déminer le terrain de la séduction pour honorer, tel un chevalier, une quête d’honneur : venger la mort d’un innocent.
L’esthétique est en place, le type est esquissé avec force, l’univers dessiné à l’encre des nuits : Huston rentre par la grande porte, et grâce au charme unique de Bogart fait du film noir toute une branche prospère de l’industrie hollywoodienne des deux décennies à venir.