悪は存在しない est une ode silencieuse à la nature, un lent poème bercé par une douce musique mêlant en sourdine les cordes d'un violon et celles d'un piano. Une mélodie de la vie sauvage qu'accompagnent les yeux d'Hana perdus dans l'immensité blanche d'un ciel d'hiver à peine troublée par les lents battements d'aile d'un busard planant au dessus d'une nature à la grâce éternelle découvrant un cerf à l'arrêt dont les narines exhalent un souffle régulier.
Parfois, une déflagration rompt brutalement ce fragile équilibre, l'homme au loin chasse les animaux, mais cela ne concerne pas Mizubiki, village niché au cœur d'une vaste forêt, adossée à une colline où coulent les jours paisibles d'Hana, de Takumi, son père et de toute une communauté soudée, besogneuse mais heureuse, dont les heures sont rythmées par le respect des cycles de la nature. C'est une tout autre menace qui trouble le village, plus lointaine encore, venant de Tokyo matérialisée par un homme et une femme venus présenter un projet de "camping glamour" destiné aux riches Tokyoïtes et dont l'implantation menace de polluer les sources alentours.
Après une première demi-heure de flânerie, "Le mal n'existe pas" marque une première rupture de ton. Le silence, la douceur idyllique de la première partie fait place à la parole, abondante, explicative de la part des deux émissaires dépêchés par la compagnie, puis vindicative des habitants du village inquiets. Et c'est avec surprise que "l'on repart" avec les deux citadins, Takahashi et Mayuzumi, le récit adoptant désormais le point de vue de ces derniers, manipulés par leur "employeur", mais portés par le ravissement éprouvé par ce qui leur semble une petit bout d'Eden à l'opposé de leur cité frénétique, et vers lequel ils reviendront bientôt avec l'envie de s'y établir.
Mais l'équilibre initial, l'aura quasi mystique qui nimbait les premiers pas de la composition est irrémédiablement rompu et c'est une toute autre dramaturgie, fascinante mais terrible qui habitera désormais ce voyage naturaliste, le guidant sur un chemin lyrique, ésotérique, violent et brumeux. La poésie visuelle, la métaphore mais également la complexité s'invitent à nouveau dans cette fable dont la morale semble échapper à toute compréhension logique, mais dont la structure insaisissable s'explique par la construction du projet initial : Hamagushi ayant été approché par la compositrice multi-instrumentiste Eiko Ishibashi , pour mettre en image sa récente composition musicale en vue d'un concert.
"Il est certain que le fait que cette musique n'offre pas de résolution évidente m'a influencé dans l'écriture, je me suis laissé imprégner par cette musique et j'ai écrit une histoire qui correspondait avec des changements de tons soudains par exemple"
La collaboration entre le réalisateur et celle qui composât la musique "Drive my car" est donc à l'origine de deux productions, une mise en image muette pour le projet initial "The Gift" puis, à partir des rushes retravaillés le film présenté à Venise l'année ée, avec dans le rôle principal le chauffeur qui avait accompagné Hamaguchi lors de son voyage à Mizubiki. Le cinéaste toujours : "Cette façon moins organisée, plus souple de mettre en scène m'a rappelé tout le potentiel du cinéma, et m'a donné plus de liberté".
Et, c'est un euphémisme, cette liberté découverte accompagne chaque intention, chaque scène d'une œuvre atypique qui en un peu plus de cent minutes délivre à la fois toute la beauté et parfois toute la cruauté de la nature et de l'âme humaine. Parfois le soleil se couche à l'est...