Critique spéciale dédicace à Babaorum
[Il y a une semaine, je me suis engagé (au fil d'une discussion sur les commentaires de la Coupe Sens Critique) à faire une critique du film de son choix à Babaorum en remerciement de bons et loyaux services. Il a choisi Pater, la voici donc.]
L’avis est mensonge
A quand remonte la dernière fois que vous vous êtes retrouvés devant un écran les yeux en soucoupe, la bouche ouverte, la cervelle explosant d’un gigantesque « MAIS QU’EST-CE QUE C’EST QUE CE TRUC ? » ?
Pour cette seule raison, Pater mériterait les hommages.
Pater est un documentaire et une œuvre de fiction. C’est écrit et improvisé. C’est sincère et manipulateur. C’est profondément déconcertant, et c’est pour ça que c’est beau. Que c’est bon.
Il est toutefois question d’un propos : on joue au Président et à son premier ministre, et l’on projette une loi sur le plafonnement des salaires. Outre la métaphore du pouvoir entre le réalisateur et sa marionnette d’acteur principal, c’est aussi une déclaration d’intention utopiste : les tirades ionnées de Lindon sur le capitalisme triomphant, le dopage, la rencontre du terroir et du boulanger ancrent politiquement et idéologiquement le discours.
Mais au-delà de cette dimension, la provocation est l’un des moteurs du film. Tout le monde joue, pourquoi pas nous, spectateurs ? A nous de voir si on se lance avec ces hurluberlus qui eux même se demandent souvent ce qu’ils font là, à l’exception notable de Cavalier qui semble toujours impliqué dans la danse. Manipulateur hors pairs, il distribue les rôles, écrit son film en direct, en filme les coulisses, picole pas mal et voit ce que ça donne.
Lindon se donne corps et âme, dévoile sa collection de chaussures et de cravates, et joue (ou pas ?, telle est en permanence la question) sur sa fascination à jouer : à l’indigné, au politicard qui s’affranchit du maitre, et au président lui-même. Son visage, dévoré de tics et au regard aussi sincère laisse penser qu’il baisse le plus souvent la garde.
Quelques scène sont en ce sens absolument mémorables : celle où il regarde ses comparses sans vraiment saisir si le jeu a commencé ou non, celle où Cavalier le touche, et surtout celle où ce dernier évoque sa vie privée. En parlant de son épouse et de sa maitresse, difficile de savoir s’il s’adresse au premier ministre ou à Lindon lui-même, dont les yeux déroutés semblent indiquer la deuxième alternative.
Dès lors, tout est suspect, et aucun repos n’est accordé au spectateur. Que contient l’enveloppe compromettante pour l’adversaire ? Une photo de Lindon lui-même ? Lindon feint-il son enthousiasme et l’emprise de son rôle sur sa personne ? Dans ce cas, ne serait-il pas l’acteur suprême ?
L’audace et l’expérimentation s’effondrent souvent comme un soufflé, é le pitch d’un concept fumeux. Ce film procède exactement à l’inverse : naviguant à vue, sans projet sérieux apparent, il déborde de vie, de n’importe quoi et de sincérité.
Pour un film sur le mensonge et le jeu, c’est quand même une belle victoire.