Reine mère
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Reine mère

Film de Manele Labidi (2025)

Martel en tête

Film sur l’immigration maghrébine en , époque fin des années 80, début des années 90, avant la guerre civile algérienne (1992-2002), bien différente de celle de maintenant, avec notamment cette volonté de s’intégrer et de s’approprier l’histoire de , par exemple ce Charles Martel, dans un révisionnisme déconstructeur plutôt témoin, lui, des années 2020, car le guerrier hostile (tel que perçu par celle qui arrive et qui représente ceux qu’il est censé avoir repoussés, les Arabes) est dévirilisé (Damien Bonnard, malgré la consigne de « rudesse et d’âme d’enfant », incarne un anti-héros) et démystifié (le film a emporté dans ses bagages un médiéviste, William Blanchard, qui nous apprend que Charles Martel, loin de son image idéalisée au XIXe siècle, n’était pas roi, qu’il affronta des Berbères et non des Arabes, venus pour récupérer un butin, pas pour la religion, etc.), devenant un être entre le Père Noël (côté généreux, fantastique, ancrage dans la tradition) et le clochard d’avant les SDF, spectateur un peu perdu dans la vie, figure grand-paternelle attachante et inoffensive, bien incarné par Damien Bonnard, dans ce retournement du symbole hostile en manifestation de l’accueil, ce qui est une idée stimulante, tant Charles Martel dort oublié dans la basilique Saint-Denis, avec sans doute l’envie d’être réveillé, et pas toujours par la droite (William Blanchard est publié par une maison d’édition bien à gauche) ce qui fera, je l’espère, naître plus de débats que de polémiques.


Si la réalisatrice aurait préféré comme titre Les Indestructibles (en plus de la longévité des figures historiques, la résilience des nouveaux arrivants), elle a récupéré ce Reine mère qui en plus de cligner de l’œil au noble Charles, évoque la place centrale de la mère dans la culture maghrébine, de même que le statut qu’avait le personnage interprété par Camelia Jordana (convaincante) dans son pays d’origine : et c’est parce que sa mère, en Tunisie, employait des femmes de ménage qu’elle a du mal à le devenir, en , pour gagner sa vie, tant l’exil peut être un déclassement, empiré par le déracinement et les différences culturelles (la fille aînée, s’adressant à Charles Martel au sujet de ses parents se parlant fort : « - Ils discutent. - Qu’est-ce que ça doit être quand ils se disputent. »).

Au point de vue cinématographique, la réalisatrice a voulu s’éloigner d’un certain cinéma social misérabiliste, et, sans renier les difficultés de la vie, offrir l’exubérance méditerranéenne (à l’image du court-métrage réalisé par Sabrina Ouazani, On va manquer !) et la volonté de s’en sortir de ces premières générations qui ne voulaient pas toutes s’enfermer à Vaux-en-Velin, et qui hésitaient à rentrer (mais en Tunisie, il peut aussi y avoir de la xénophobie envers le mari de ce couple bi-national, interprété par Sofiane Zermani, pas toujours à l’aise pour remplir cette mission confiée par Manèle Labidi de ne pas être « l'archétype de la masculinité arabe toxique souvent rabâchée dans la fiction »).


Dans cette autofiction au é, cette « biomythographie » revendiquée, la réalisatrice a exigé de son équipe un devoir d’irrévérence qui ne sert pas toujours grand-chose, offrant un tout assez composite et des couleurs parfois bizarres. Si l’idée d’avoir tiré de l’oubli Charles Martel, et d’en offrir une interprétation originale, loin de toute vérité historique, est une bonne idée (le é, ce n’est pas des cendres, c’est une flamme), apportant une touche de poésie et de fantastique dans un récit les pieds dans le réel, il n’est jamais vraiment intégré au récit, ager clandestin d’une histoire où il a du mal à trouver sa place). Cela reste un bon film jouant des és proche et lointain, conscient et inconscient, pour mieux comprendre le présent. 


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le 3 mars 2025

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chatcaquetant

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