"Le Fils du chiffonnier" est un livre que je souhaitais lire depuis des années, et il ne m’a pas déçu. Dès les premières pages, on découvre un Kirk Douglas à mille lieues des clichés hollywoodiens : un homme profondément cultivé, ionné par son métier d’acteur mais aussi par les arts au sens large.
Ce qui frappe, c’est la richesse de ses anecdotes sur l’âge d’or d’Hollywood. Kirk Douglas a été un pionnier en fondant sa propre société de production, à une époque où les acteurs étaient encore prisonniers des Majors. Il a pris ses responsabilités, fait ses propres choix, porté ses propres films. Il a aussi brisé des barrières, notamment en mettant fin à la liste noire de Hollywood, réintégrant les scénaristes injustement écartés.
Fait marquant : il est à l’origine du film culte Vol au-dessus d’un nid de coucou, qu’il a tenté de produire et d’interpréter pendant plus de dix ans. Après un échec à Broadway dans les années 60, il se résout à transmettre les droits à son fils Michael. Ce dernier parvient à concrétiser le projet en 1975 avec un immense succès : 5 Oscars, dont Meilleur film. Kirk se dit fier de son fils, même s’il n’hésite pas à critiquer certains partis pris artistiques du long-métrage. Là encore, toute l’ambivalence d’un homme exigeant, à la fois artiste, père et producteur.
Le livre ne se limite pas à sa carrière hollywoodienne. Kirk Douglas y partage aussi des aspects moins connus de sa vie : champion de lutte à l’université, il dut constamment prouver sa valeur face à des camarades antisémites. Il évoque aussi sa participation à la Seconde Guerre mondiale comme marin sur un navire de guerre, avant d’être réformé à cause d’une maladie. Et comme une leçon de vie, il écrit que devenir acteur, c’est apprendre à être rejeté. Lucide, il raconte aussi comment il aurait pu jouer dans Rambo, mais Stallone mit son veto à ses suggestions scénaristiques.
Mais ce livre n’est pas qu’une autobiographie classique. Il se double d’un véritable essai, où l’acteur partage des réflexions étonnamment actuelles sur la société, sur la frontière entre fiction et réalité, sur l'engagement politique. Il raconte son rôle d’ambassadeur culturel sous Kennedy, Nixon, Carter ou Reagan, mettant l’intérêt du pays au-dessus des clivages partisans. Un message fort à une époque où les débats sont trop souvent réduits à des querelles stériles entre “gauchistes” et “droitards”.
On découvre aussi l’homme derrière la légende : un père fier de ses enfants, un mari imparfait mais reconnaissant envers sa seconde épouse, Anne, femme de l’ombre dont il reconnaît l’importance. L’ouvrage ne fait pas l’ime sur ses failles, ses erreurs, ni sur ses jugements tranchés. Kirk Douglas n’avait pas la langue dans sa poche : il encense certains (Laurence Olivier, Jack Lemmon), critique d'autres (Yul Brynner, Kubrick), avec une franchise désarmante.
Enfin, il y a l’origine, le point de départ. Né Issur Danielovitch à Amsterdam, petite ville pauvre de l’État de New York, fils d’immigrés illettrés, il est l’incarnation du rêve américain. Il n’a jamais oublié d’où il venait. Il aurait pu intituler ce livre La vie d’Issur et les mille autres de Kirk, mais en choisissant Le Fils du chiffonnier, il rend hommage – malgré tout – à ce père indifférent, rude, qui l’a forgé.
Un livre ionnant, dense, sincère, à compléter par ses autres mémoires publiées dans les décennies suivantes. Déjà à plus de 70 ans, Kirk Douglas nous livre une leçon de vie, de métier, et d’humanité.