On ne badine pas avec l'amour par Deidarakai

Tout annonce la comédie : le titre, la scène d'exposition, le projet de mariage. Et on se dirige dans l’œuvre en attendant le dénouement qu'on devine : l'heureuse union qui doit réconcilier tout le monde. Ce serait oublier le nom de l'auteur sur la couverture.


La jeune Camille sortie du couvent perturbe tous les plans : celui du père, celui de la comédie, c'est-à-dire celui du mariage et de l'amour triomphant. Dans cette atmosphère légère et un peu guimauve, elle pose la vraie question, celle qu'on ne pose pas à un amant :



Combien de temps cela durera-t-il ?



C'est une question cruelle mais aussi lucide. Cruelle parce que l'amour n'est pas un calcul, or ici la question qu'elle pose est celle du rapport qualitatif entre bonheur et souf : l'amour vaut-il les soufs qu'il inflige ? Lucide parce qu'il suffit de regarder autour de nous les couples brisés, ceux qui ont promis et failli.



Je ne sais trop comment cela se fait. Quand elle me parlait de son mariage, quand elle me peignait d’abord l’ivresse des premiers jours, puis la tranquillité des autres, et comme enfin tout s’était envolé ; comme elle était assise le soir au coin du feu, et lui auprès de la fenêtre, sans se dire un seul mot ; comme leur amour avait langui, et comme tous les efforts pour se rapprocher n’aboutissaient qu’à des querelles ; comme une figure étrangère est venue peu à peu se placer entre eux et se glisser dans leurs soufs (...)



La pièce enclenche alors deux machines que rien n'arrête :



  • Celle des sentiments : quoi que peut dire Camille au bord du précipice, tout le monde sait qu'elle va tomber amoureuse malgré la fin inéluctable de l'amour qu'elle entrevoit.


  • Celle de la preuve des sentiments : le jeu est cruel car Perdican utilise la jeune Rosette pour pousser Camille à révéler son amour. Camille parvient à piéger Perdican car s'il n'épouse pas Rosette c'est la preuve de son inconstance.



En somme, une fois n'est pas coutume, l'amour est perdant. Il s'est montré sous les traits d'un jeu sournois. Camille et Perdican sacrifient leur amour sur l'autel d'un Amour idéal : celui qui ne meurt pas. La pièce est en fait un immense piège qui déconstruit très logiquement ce qui devait se faire naturellement : le mariage de deux jeunes gens qui s'aiment.


Quelques années après cette lecture, une question persiste : N'est-ce pas la seule véritable preuve d'amour que de s'engager dans une relation tout en mesurant combien nous pouvons en souffrir ?

9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les livres qui changent la vision du monde

Créée

le 15 févr. 2019

Critique lue 1.1K fois

2 j'aime

1 commentaire

Deidarakai

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

2
1

D'autres avis sur On ne badine pas avec l'amour

Critique de On ne badine pas avec l'amour par FrenchKat

Je ne mettrais juste une citation qui pourrait à elle seule justifier toute la note : "Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et...

Par

le 25 mars 2011

15 j'aime

L'art du jeu.

Comédie et drame à la fois, On ne badine pas avec l'amour est une des pièces les plus marquantes du romantisme. Cette pièce conte l'histoire d'un baron qui veut marier son fils, Perdican, à sa nièce...

Par

le 22 janv. 2011

13 j'aime

Critique de On ne badine pas avec l'amour par Cédric Moreau

En parallèle de mes lectures contemporaines, je continue mon exploration des classiques de la littérature séculaire. Cette fois-ci, j’ai jeté mon dévolu sur « On ne badine pas avec l’amour », célèbre...

le 5 janv. 2015

10 j'aime

Du même critique

Critique de On ne badine pas avec l'amour par Deidarakai

Tout annonce la comédie : le titre, la scène d'exposition, le projet de mariage. Et on se dirige dans l’œuvre en attendant le dénouement qu'on devine : l'heureuse union qui doit réconcilier tout le...

le 15 févr. 2019

2 j'aime

1

"La lecture ne relève pas de l'organisation du temps social, elle est, comme l'amour, une manière d'

Enseigner la littérature, drôle d'expression. Peut-on vraiment enseigner la littérature comme on enseigne une autre matière ? La littérature n'est-elle pas un choix de manière d'être, comme dit...

le 5 juin 2020

1 j'aime

Diadia Vania

La vodka coule à flots ce soir-là chez les Serebriakov et brûle les plaies qui ne cicatrisent pas. Tous s'ennuient, comme souvent dans les fictions russes. Que faire de ce temps qui nous est donné ...

le 5 juin 2020

1 j'aime